Histoire
Les poupées du Tacite
Dès notre immersion, le tintamarre produit par les moteurs pétaradant sur la plage arrière de Total Récup, notre bateau base, s’évanouit. Avec Michel, je descends le long du tuyau jaune de la pompe hydraulique qui s’enfonce dans le bleu. À partir de 10 mètres, l’épave du Tacite nous apparaît progressivement : un guindeau, des amoncellements de pièces métalliques, quelques rouleaux de feuilles de zinc, des tonneaux de ciment, une meule à grains plantée sur la tranche, et, au centre de tout cela, quatre plongeurs qui s’activent. Un halo de lumière produit par la rampe de projecteurs de l’équipe vidéo met en relief le binôme de plongeurs que nous venons relayer. Depuis vingt minutes, nos amis ont creusé par aspiration des sédiments, creusant ainsi un cratère d’où ils viennent de dégager un nombre impressionnant de chandeliers, verres à pied, ainsi qu’un magnifique angelot et une adorable tête de poupée en porcelaine blanche. Mon compagnon s’empare du tuyau annelé de la “suceuse”, il pousse de sa main libre les sédiments vers cette bouche qui les avale goulûment dans un chuintement perceptible. Pendant ce temps, je déplace des morceaux de coraux et des tessons tranchants vers une zone élue “dépotoir”. Michel fait apparaître la forme ventrue d’une grosse barrique en bois, partiellement éclatée malgré la présence de plusieurs cerclages en métal corrodé. Il dégage ensuite des bouteilles de vin disposées en quinconce dans une caisse dont le bois gorgé d’eau se délite au toucher, les pose une à une avec délicatesse à l’extérieur de la cavité ; elles possèdent toutes encore leur bouchon, certaines présentent même un goulot capsulé sur lequel on peut encore lire : Lafaurie Fils - Liquoriste - Bordeaux. Il ne manque que les étiquettes… Nous savons, hélas, que le breuvage d’origine n’est plus qu’un liquide nauséabond. À quelques centimètres de nos masques, un lutjan se régale des nombreux organismes délogés de leurs abris. J’inspecte régulièrement la buse en Pvc qui refoule les plus fins sédiments en nuages et construit un tas pyramidal avec les matériaux plus lourds. En examinant avec soin ce dépôt, nos amis ont trouvé ce matin un sceau en plomb portant l’inscription : Bordeaux. Raymond Proner découvre un petit baigneur et plusieurs têtes de poupées en porcelaine. Ces poupées étaient destinées aux enfants de la classe aisée de la population. Philippe Sanchis découvre dans une caisse en bois, une dizaine de cylindres en étain portant chacun une plaque au nom du docteur Iguisier. Il s’agit d’un appareil à lavement.
Un regard sur les instruments nous informe qu’il ne reste que deux minutes à passer au fond. Nous remplissons de bouteilles nos filets ; en amorçant notre retour vers la surface, nous croisons Gilbert Castet et Jean-Pierre Folliard qui assureront l’ultime plongée de ce chantier. Ils disposent de peu de temps pour remblayer la cavité, libérer la suceuse enchaînée au guindeau, remplir d’outils et d’artefacts une bassine en aluminium et la remonter à l’aide d’un sac de relevage.
Nous quittons le site avec le sentiment d’avoir beaucoup appris pendant ces trois journées. En 69 plongées, nous aurons totalisé 23 heures de fouilles et remonté près d’un millier d’objets actuellement entreposés pour être inventoriés, puis traités, dans le laboratoire du Musée de l’histoire maritime de Nouvelle Calédonie.
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