L’incroyable destin de la grotte Cosquer

Immergée au cœur du parc national des Calanques, au sud de Marseille, la grotte Cosquer s’ouvre par 37 mètres de fond à proximité du cap Morgiou. Auteur du récent ouvrage La grotte Cosquer révélée, les secrets du sanctuaire englouti, le journaliste scientifique Pedro Lima en dévoile les principaux secrets de ce site orné unique au monde, dont la réplique ouvre le 4 juin dans la cité phocéenne.

Grotte Cosquer - Luc Vanrell/DRAC Paca/ImmadrasImages Luc Vanrell / DRAC Paca / Immadras

Le soir du 9 juillet 1991, à la nuit tombée, un bateau quitte par mer calme le port de Cassis, direction le cap Morgiou. Il s’agit du Cro-Magnon, au nom prédestiné, appartenant au Club cassidain de plongée. À son bord se trouvent Henri Cosquer, propriétaire du club, et trois moniteurs expérimentés : sa nièce Cendrine, Yann Gogan, et Pascale Oriol. Henri Cosquer a constitué la palanquée pour explorer une grotte dont l’entrée s’ouvre à - 37 mètres au pied de la pointe de la Voile, à proximité du cap Morgiou. Image 1 Il connaît déjà les lieux, pour avoir emprunté dès 1985 le boyau qui s’enfonce dans la falaise à partir d’un petit trou dans la roche, déjà bien connu à l’époque des chasseurs de corail et de langoustes. Et pour avoir posé le pied, selon ses dires ultérieurs, dans une vaste cavité en partie émergée qui s’ouvre au bout du boyau (1). Un mois plus tôt, en juin 1991, il a tiré un fil d’Ariane dans le conduit avec le plongeur spéléo belge Marc Van Espen (après une tentative infructueuse en 1990), explorant la grotte en sa compagnie (2).

La découverte

Lorsqu’ils se glissent le soir du 9 juillet par l’étroite ouverture, les quatre plongeurs remontent donc en sécurité dans l’étroit conduit de 116 mètres de long, qui s’élargit peu à peu. Ils palment avec précaution, car les sédiments déposés au sol peuvent à tout moment se mettre en suspension et faire perdre toute visibilité. Une fois franchie une dernière chatière, un spectacle irréel et envoûtant s’offre à eux : dans la lueur des lampes, des colonnes pétrifiées se dressent dans une immense salle aux volumes tourmentés. Il s’agit de stalagmites colossales formées dans une cavité souterraine, autrefois située sous le niveau de la mer, avant que les eaux ne l’engloutissent. Après avoir sorti la tête de l’eau et posé le pied sur une plage en calcaire durci, les quatre plongeurs se débarrassent de leurs palmes et bouteilles. Formant deux équipes, ils partent à la découverte, deux heures durant, d’une grotte à la beauté fascinante. À perte de vue ce ne sont que stalactites, stalagmites, concrétions, draperies, voûtes penchées et parois de calcaire aux teintes orangées. Quant tout à coup, sur le chemin du retour vers la plage, c’est le choc : sur la paroi aux reliefs tortueux, l’empreinte d’une main apparaît dans le faisceau d’une lampe ! Les cris fusent, et les hypothèses les plus folles sont avancées : « Qui a fait un tag ici ? », s’interroge Henri « On dirait des peintures rupestres ! », s’exclame Pascale. « Nous étions dans un état indescriptible, un mélange de stress et d’adrénaline », se souvient Yann. De retour au port, l’excitation est à son comble, renforcée les jours suivants par le visionnage de la photo prise devant la paroi, qui révèle au total trois empreintes de mains ! Dans les semaines qui suivent, l’équipe revient plusieurs fois sur les lieux et révèle, au fil des incursions, un incroyable bestiaire préhistorique englouti, ainsi que des foyers miraculeusement conservés. Mains par dizaines, figures de bisons, chevaux, cerfs et même pingouins, uniques dans tout l’art pariétal ! Il ne fait plus de doute que la grotte a été fréquentée, il y a des millénaires, par des artistes préhistoriques, avant d’être engloutie partiellement par la mer à la fin de la dernière glaciation.Grotte Cosquer - Luc Vanrell/DRAC Paca/Immadras

La déclaration et l’authentification de la grotte

Le 1er septembre 1991, un événement tragique précipite la déclaration de la découverte aux autorités. Trois plongeurs grenoblois, inexpérimentés, perdent en effet la vie en explorant le boyau d’accès à la cavité, sans même savoir qu’une grotte se trouve au bout. Henri Cosquer et Yann Gogan participent aux opérations de sauvetage et d’évacuation des corps, auxquelles participent les secouristes spéléo. Le 3 septembre, Henri Cosquer se rend à la Direction des recherches archéologiques sous-marines, basée au fort Saint-Jean à Marseille, pour déclarer seul la découverte. Dès le 18 septembre, une mission d’expertise est menée dans le site, avec l’appui logistique du navire scientifique de la DRASM, l’Archéonaute. À cette occasion, un nouveau fil d’Ariane est tiré, et c’est le préhistorien Jean Courtin, plongeur expérimenté qui a exploré depuis les années 1960 de nombreuses cavités sous-marines d’intérêt archéologique, qui authentifie la grotte : « Les parois étaient recouvertes de gravures et peintures innombrables, par endroits recouvertes de calcite ce qui prouvait leur ancienneté. J’étais émerveillé et ému, car il n’existait alors pas de grotte ornée en Provence, et celle-ci était la seule cavité ornée au monde dont l’entrée se situe sous la mer », se souvient-il. Ces observations sont confirmées par les datations au carbone 14 de charbons prélevés sur les sols et les parois, livrant des dates proches de 20 000 ans. Depuis, de nouvelles datations ont montré que la grotte a été fréquentée durant 14 000 ans, entre -33 000 et -19 000 ans, par des chasseurs-cueilleurs de la dernière période glaciaire, lorsque le niveau marin se situait 120 mètres plus bas et le littoral 8 km plus loin. Classée en 1992 au titre des monuments historiques, la cavité est définitivement interdite au public. L’entrée est obstruée par des blocs de béton, remplacés en 2015 par un portail en acier inoxydable. En 2013, un arrêté de la préfecture maritime a renforcé la protection du site par une interdiction de toute plongée et mouillage dans un rayon de 500 mètres autour de la pointe de la Voile.

La cavité comprend 73 empreintes de mains négatives, réalisées avec la technique su soufflé. Les représentations de chevaux sont majoritaires dans la grotte

L’aventure scientifique

Bertrand Chazaly et Luc Vanrell lors d'une opération de relevé 3DDepuis 1992, de nombreuses missions scientifiques se sont succédé dans la grotte Cosquer, site fragile menacé de disparition : la montée du niveau marin menace les peintures, la mer amène régulièrement des polluants et des séismes épisodiques perturbent la cavité. Depuis 2001, une équipe du service régional de l'archéologie (DRAC Paca) étudie le site, après la première génération de chercheurs (Jean Courtin, Jean Clottes, Jacques Collina-Girard...). Elle est essentiellement composée du plongeur et archéologue indépendant Luc Vanrell et de l’archéologue de la Drac Michel Olive. Ils ont été rejoints, depuis les années 2010, par le topographe Bertrand Chazaly (société Fugro), et à partir de 2022 une nouvelle équipe se met en place, dirigée par le préhistorien Cyril Montoya. Chaque mission dans la grotte est minutieusement préparée. « Le matériel (ordinateurs, appareils photo, capteurs, scanners 3D…) est conditionné dans des conteneurs étanches spécialement conçus pour le boyau. Les déplacements dans la cavité se font avec grande précaution, sur un sol particulièrement accidenté et souvent sous l’eau, car il est interdit de s’appuyer, de toucher les parois au vu des traces archéologiques qui les recouvrent. De plus, nous devons sortir tout le matériel à la fin de chaque journée de travail de 5 heures dans la grotte. C’est très physique, exigeant, et on perd en moyenne 3 kg par mission ! », témoigne Luc Vanrell. Le matériel scientifique est également soumis à rude épreuve, dans les conditions d’humidité et de salinité particulières de la cavité. Il y a quelques années, un homard ayant élu domicile en ses lieux a même sectionné de sa puissante pince le câble d’alimentation d’un capteur !

 

Surpression et relevés en 3D pour une réplique

Grâce à ces recherches éprouvantes, on sait que les artistes allaient dans la grotte à la fois pour réaliser leurs dessins aux motivations mystérieuses, plus de 500, sans compter ceux qui ont été noyés par la mer, mais aussi pour prélever de grandes quantités de matière calcaire qu’ils sortaient de la cavité par le boyau. En faisaient-ils un usage médicinal, ou des peintures corporelles ? Aucune certitude possible... Les chercheurs étudient aussi un phénomène inattendu, repéré dès les premières incursions dans la grotte par les plongeurs grâce à leurs profondimètre : l’air à l’intérieur de la cavité est en surpression par rapport à l’air extérieur, avec des variations annuelles, ce qui explique que le niveau du plan d’eau est inférieur au niveau marin à l’extérieur. Ces variations de niveau dues à des entrées d’air dans la cavité via le réseau karstique peuvent atteindre 1,20 m, et maintiennent de nombreuses œuvres hors de l’eau.

Enfin, le relevé 3D de très grande précision de la grotte (infra-millimétrique pour les zones ornées) a permis la réussite de la réplique, réalisée par des plasticiens, des sculpteurs et des artistes, qui vient d’ouvrir ses portes au public en juin sur l’esplanade du Mucem. Baptisé Cosquer Méditerranée (3), ce projet réalisé à l’initiative de la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur permet au public du monde entier de découvrir les merveilles de la grotte engloutie, plus de 30 ans après sa découverte et après plusieurs tentatives de répliques avortées. Et de mieux connaître, ainsi, les sociétés préhistoriques qui nous ont précédées et de réfléchir aux conséquences du changement climatique.

(1) Plongée dans la préhistoire, Henri Cosquer, Ed Solar (1992).
(2) Hippocampe, la revue officielle de la LIFRAS, n° 137 (1992).
(3) Site et billetterie : www.grotte-cosquer.com

L’auteur

Pedro Lima est journaliste scientifique spécialiste de la préhistoire. Il arpente les Calanques depuis son enfance marseillaise, et a visité de nombreuses grottes ornées comme Lascaux et Chauvet, sur lesquelles il a publié des ouvrages de référence. Dans son dernier livre, il partage les dernières connaissances sur la grotte Cosquer, et s’interroge sur le génie et les motivations des artistes préhistoriques. Il décrit les conditions de travail très complexes des spécialistes qui étudient ce site englouti, en détaillant leurs hypothèses et leurs découvertes. Une véritable immersion à la découverte de nos ancêtres.

Ouvrages parus aux Éditions Synops (www.synops-editions.fr) Image 14 Couv

- Chauvet-Pont d’Arc, le premier chef-d’œuvre de l’humanité (2014)
- Tout Lascaux (2016).
- La grotte Cosquer révélée, les secrets du sanctuaire englouti, (2021), 36,90 €. (disponible sur la boutique en ligne de la FFESSM ?- à valider)

Légendes

1. La grotte Cosquer s'ouvre au pied de la pointe de la Voile, au premier plan, avec en arrière-plan le cap Morgiou. Crédit Pedro Lima.

2. L'arrivée dans la première salle de la grotte Cosquer. Crédits Luc Vanrell/DRAC Paca/Immadras.

3. Au bord du grand puits, dans la deuxième salle de la grotte. Crédits Michel OIive/Ministère de la Culture/DRAC Paca

4. La cavité comprend 73 empreintes de mains négatives, réalisées avec la technique du soufflé. Crédits Luc Vanrell/DRAC Paca/Immadras

5. Les chevaux sont majoritaires dans la grotte. Crédits Luc Vanrell/DRAC Paca/Immadras.

6. Après le cheval et le bouquetin, le bison est l'espèce la plus représentée dans la grotte. Crédits Luc Vanrell/DRAC Paca/Immadras.

7. Les artistes représentaient les animaux de leur environnement littoral, dont les animaux marins tels que phoques et pingouins. Ces derniers, au nombre de quatre, ont beaucoup fait pour la renommée de la grotte. Crédits Luc Vanrell/DRAC Paca/Immadras.

8. Jean Courtin devant le panneau des chevaux. Crédit Jacques Collina-Girard.

9. Analyses d'eau au niveau du grand puits d'une profondeur de 25 mètres par le chercheur Bruno Arfib (Cerege). Crédits Luc Vanrell/DRAC Paca/Immadras.

10. Le niveau d'eau varie annuellement de plus d'un mètre, couvrant partiellement certaines figures (ici le panneau des Chevaux). Crédits Luc Vanrell/DRAC Paca/Immadras.

11. Un appareil de relevé scanner disposé dans la grotte. Crédits Luc Vanrell/DRAC Paca/Immadras.

18. La réplique de la grotte Cosquer a été réalisée dans la Villa Méditerranée à Marseille. Crédit S. Boeri/Région Sud PACA/Frédéric Pauv.

19. L’auteur dans la grotte Chauvet en Ardèche (DR).

 

Contributeur 1. Henri Cosquer dans la grotte. Crédit Jacques Collina-Girard

Contributeur 2. Pascale Oriol dans la grotte. Crédit Jacques Collina-Girard.

Contributeur 3. Cendrine Cosquer dans la grotte. DR (à couper pour ne pas voir la main posée sur la roche)

Contributeur 4. Bertrand Chazaly (à gauche) et Luc Vanrell lors d'une opération de relevé 3D. Crédit Valérie Grenier.

Contributeur 5. Prises de vue face aux parois par Michel Olive, du DRAC Paca. Crédits Luc Vanrell/DRAC Paca/Immadras.

Le portail qui marque l'entrée du conduit d'accès à la grotte. Crédits Luc Vanrell/DRAC Paca/Immadras.