La palme à haut niveau avec Camille Heitz

Passionnée très tôt par la nage avec palmes (NAP), Camille Heitz est devenue une championne hors norme, à la fois par son palmarès et par sa longévité au plus niveau.

Tout en menant parallèlement une carrière professionnelle réussie, avec des études d’ingénierie, pourtant pas vraiment com-patibles avec la vie d’une sportive membre de l’équipe de France. Pour Subaqua, elle revient sur son parcours, détaillant en toute sincérité comment la pratique de la NAP de compétition a transformé sa vie, sans occulter quelques passages difficiles.


Quelques mots de présentation et sur tes études ?

Je m’appelle Camille Heitz et j’ai 35 ans. Je suis originaire de Saint-Raphaël dans le Var. C’est là que j’ai commencé à nager et suis tombée sous le charme de la NAP, avec cette sensation de légèreté ressentie dans l’eau, de vitesse et de plaisir de glisser. Très vite, dès l’âge de 13 ans, je suis passée de la pratique loisir à la compétition. J’ai quitté ensuite Saint-Raphaël après le bac pour rejoindre l’INSA à Toulouse pour intégrer un cursus spécifique permettant aux sportifs de haut niveau de suivre une formation d’ingénieur. Diplôme d’ingénieur en génie civil en poche en 2009, je me suis installée dans la capitale pour effectuer mon stage de fin d’études dans une entreprise spécialisée dans les monuments historiques.

J’y suis en fait restée dix ans avant de quitter Paris pour revenir dans le Sud, à Antibes où je vis depuis bientôt deux années. Étudier puis travailler tout en s’entraînant en piscine régulièrement, sans compter les déplacements lors des compétitions, n’a évidemment pas été facile à concilier. Mais j’ai constaté que pas mal de grands champions avaient eux aussi comme point commun d’avoir des agendas très remplis. Je pense que mener plusieurs projets de front permet d’avoir une vie plus saine, qu’une vie tournée ex-clusivement sur le sport.

Tu as arrêté ta carrière sportive en 2015 à 29 ans, soit après 16 ans de compétition au plus haut niveau. Ton palmarès sportif doit être conséquent, non ?

J’ai, en effet, pratiqué la nage avec palmes pendant 16 ans dont 14 en équipe de France. J’ai à mon actif plusieurs titres de championne de France, deux titres de championne d’Europe, deux titres de vice-cham-pionne du Monde et deux médailles aux Worldgames dont une en or. J’ai détenu huit records de France senior dont cinq sont encore actifs, sans oublier un record d’Europe que j’ai conservé pendant dix ans. Je tiens à préciser que c’est grâce à l’équilibre que j’avais établi entre le sport et ma vie socio-professionnelle que j’ai pu rester aussi longtemps une compétitrice. Bien que, comme je l’ai souligné précédemment, il n’ait pas été pas toujours simple de jongler entre les études et le sport de haut niveau. Avoir intégré un cursus d’ingénieur adapté m’a permis de m’offrir un emploi du temps sur mesure, et partager la vie d’ath-lètes qui ont fait les mêmes sacrifices que moi, avec le double objectif de la réussite scolaire et sportive.

Outre toutes ces récompenses, peux-tu, avec le recul, détailler ce que la pratique de la NAP t’aura apporté de bénéfique ?

Tout d’abord, je dirais qu’avant ma découverte du sport de haut niveau, j’étais assez introvertie, timide, sûrement un peu effacée. Aujourd’hui, ma personnalité est quasiment à l’opposé de la personne que j’ai été. Et ceci, en toute objectivité, je le dois principalement au sport et à la compétition. Ensuite, la NAP m’a aidée à m’assumer. Ado, j’étais complexée car en léger surpoids. Être tout le temps en maillot m’a appris à m’accepter, à diminuer mes complexes. Ce qui ne m’a pas empêchée, cependant, d’être la victime de remarques déplacées sur mon physique. Des jalousies suscitées notamment lorsque je montais sur les podiums, et j’ai eu la chance d’en gravir quelques-uns dans ma carrière ! Enfin, pratiquer la NAP réguliè-rement et avoir des objectifs de performance m’ont appris la rigueur, le goût de l’effort et le dépassement de soi, ainsi que l’ambition et l’humilité.

Et en ce qui concerne plus particulièrement la compétition ?

Quand les performances ont commencé à arriver, j’ai décidé d’assumer mon ambition. Je n’étais pas du genre à crier sur les toits que je voulais être championne du monde mais je crois que mon attitude le montrait. J’ai assez vite compris que les efforts à l’entraînement payaient. Je me souviens un jour avoir calculé les temps qu’il fallait que je fasse à l’entraînement pour arriver aux records du monde de ma catégorie. J’ai compris aussi que pour aller au plus haut, il fallait avoir à la fois des objectifs réali-sables et d’autres plus ambitieux. En ayant ces objectifs ambitieux, je me suis ouvert les portes pour réaliser mes rêves. Bien souvent, le sportif français se met des bar-rières et s’empêche de rêver par peur de l’échec. Or cette peur est l’ennemi n° 1 dans le haut niveau ! Moi, je savais de quoi j’étais capable mais j’en voulais plus. Au final, la compétition m’a permis de devenir celle que je suis. Elle a forgé mon caractère, m’a donné la volonté de réussir et appris que les obstacles sont faits pour être franchis. J’ai réalisé également l’importance qu’il y a à bien s’entourer, à ne pas négliger ceux qui nous accompagnent.

Lorsque l’on a été tout en haut sportivement, bien négocier la fin de sa carrière n’est pas évident, non ?

Arrêter est toujours un moment difficile pour un sportif. D’autant plus que l’on va alors se retrouver seul, sans aucun accompagnement. J’ai eu la chance de m’arrêter au bon moment, avant d’atteindre la saturation. Pendant ma carrière, j’ai fait quelques pauses pour revenir plus forte et plus fraîche dans ma tête. Mais il est arrivé un mo-ment où j’ai perdu l’envie, perdu ce « plus » qui te motive à améliorer tes chronos. Pourtant, j’avais ce sentiment que je n’étais pas arrivée au bout de ce que je pouvais faire, que je pouvais nager encore plus vite sur le 100 et le 200 mètres. Mais dans ma tête, ce n’était plus ça. Alors j’ai beaucoup réfléchi, et j’ai décidé de dire stop, de ranger enfin mes palmes. Je me suis sentie plus légère et j’ai alors compris que j’avais fait le bon choix. Mais 16 ans de compétition, rythmés par des échéances sportives régulières et avec des objectifs personnels à atteindre sans cesse, ne s’effacent pas comme ça. Et maintenant quoi ? Je me sentais perdue alors qu’arrêter de nager était ce que je voulais, le moyen de retrouver ma liberté. Je n’ai pas compris ce qui m’ar-rivait. Un vide s’est fait à l’intérieur de moi et rien ne le comblait. J’ai mis du temps à comprendre que je faisais une dépression. C’est en fait un contrecoup assez courant dans le milieu sportif. Pourtant personne ne vous met vraiment en garde.

Comment es-tu arrivée à t’en sortir ?

J’ai mis du temps à relever la tête mais comme je me connais bien, j’ai compris qu’il fallait que je me trouve des nouveaux défis. Alors je me suis mise à d’autres sports pour le plaisir. En parallèle, j’ai choisi de passer sur le bord du bassin car j’avais envie de partager ma passion de la NAP et mes valeurs sportives. J’ai commencé à Paris avec des masters et maintenant je suis à Antibes avec des jeunes. J’ai eu aussi la chance d’accompagner l’équipe de France lors de compétitions. J’appréhendais cette expérience mais finalement, tout s’est bien passé. Aujourd’hui, j’ai trouvé un nouvel équilibre avec « mes » jeunes. J’essaye de leur transmettre mon expérience et de les accompagner du mieux possible pour progresser.